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dans le détachement, un jeune soldat, je ne sais pourquoi, dit pendant la bataille qu’il lui semblait que la section ne sortirait pas d’où elle était et toute la section furieuse s’élança sur lui à cause de cette sinistre parole qu’on ne voulait même pas répéter. Et maintenant, quand, dans l’âme de chacun devait être la pensée de Velentchouk, quand à chaque seconde on pouvait attendre une décharge de Tatars, tous écoutaient l’histoire drôlatique de Tchikine et personne ne parlait du combat d’aujourd’hui, ni du danger imminent ni du blessé, comme si cela avait eu lieu, Dieu sait quand, ou n’avait jamais été. Mais il me sembla toutefois que leurs visages étaient un peu plus sombres qu’à l’ordinaire, qu’ils n’écoutaient pas très attentivement le récit de Tchikine, et que même Tchikine ne tenait pas à ce qu’on l’écoutât, mais parlait comme ça. Maximov s’approcha du bûcher et s’assit près de moi. Tchikine lui fit place, se tut et se remit à tirer la fumée de sa pipe.

— A-t-on envoyé des fantassins dans le camp pour chercher de l’eau-de-vie ? — dit Maximov après un silence assez long. Il venait de rentrer. Il cracha dans la flamme. — Le sous-officier dit qu’on a vu le nôtre.

— Quoi ! vit-il encore ? — demanda Antonov en retournant la marmite.

— Non, il est mort.

La recrue, tout à coup, souleva du feu sa