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devenu un brave. Amène ici n’importe quel garçon russe, nous les avons vus, alors tout de suite il aura des spasmes, des rhumatismes, et moi, voilà, je m’assieds ici, et c’est ici ma maison, mon lit, tout. Tu vois.

Après ces paroles il avala encore un petit verre d’eau-de-vie.

— Hein ? — ajouta-t-il en regardant fixement les yeux de Kraft.

— Voilà, je respecte cela. C’est bien d’un vrai Caucasien ! Votre main s’il vous plaît. Et Kraft nous écartant tous se fraya un chemin jusqu’à Trocenko, saisit sa main et la secoua avec une expression particulière.

— Oui nous pouvons dire que nous avons tout éprouvé — continua-t-il. — En l’année 43… Vous étiez donc là-bas, capitaine, rappelez-vous la nuit du 12 au 13, quand nous avons passé la nuit dans la boue jusqu’aux genoux et que le lendemain nous sommes allés aux retranchements. J’étais alors attaché au général en chef et nous avons pris quinze retranchements en une seule journée. Vous vous rappelez, capitaine ?

Trocenko fit de la tête un signe d’assentiment, puis avança la lèvre inférieure et ferma les yeux.

— Voyez-vous… — continua Kraft s’adressant au major avec beaucoup d’animation et faisant de la main des gestes tout à fait intempestifs.