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réponses que nous avions les mêmes idées, involontairement des conversations plus intimes s’engagèrent entre nous. En outre, au Caucase, quand des hommes du même monde se rencontrent, même si elle n’est pas exprimée, transparaît très évidemment la question : Pourquoi êtes-vous ici ? Et à cette question muette il me semblait que mon interlocuteur voulait répondre.

— Quand se terminera cette expédition ? — fit-il d’un ton nonchalant. — C’est ennuyeux.

— Je ne m’ennuie pas — dis-je. — Dans l’état-major c’est encore plus ennuyeux.

— Oh ! dans l’état-major c’est dix mille fois pire — fit-il avec colère — Non ! Quand tout cela finira-t-il tout à fait !

— Que voulez-vous donc qui finisse ? — demandai-je.

— Tout, tout à fait !… Eh bien ! Les côtelettes sont prêtes, Nikolaiev ? — demanda-t-il.

— Pourquoi donc avez-vous pris du service au Caucase, — dis-je — si le Caucase vous déplaît tant ?

— Savez-vous pourquoi ? — répondit-il avec une franchise résolue… — Par tradition. En Russie il y a une tradition étrange d’après laquelle le Caucase est une terre promise pour les hommes malheureux de toutes sortes.

— Oui, c’est presque la vérité, — dis-je. — La plupart de nous…

— Mais ce qu’il y a de mieux — m’interrom-