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chasseurs, qui formait notre couverture, s’approcha des canons, et en désignant trois Tatars à cheval qui passaient en ce moment à la lisière du bois, à une distance de nous de six cents sagènes, il me demanda, avec cet amour qu’ont en général les officiers d’infanterie pour le feu d’artillerie, la permission de leur envoyer un boulet ou un obus.

— Voyez-vous — fit-il avec son sourire bon et persuasif, en tendant sa main au-dessus de mon épaule — voyez-vous où sont ces deux grands arbres, il y en a un devant, sur un cheval blanc, et en tcherkeska noire, et derrière lui il y en a deux autres. Ne peut-on les… s’il vous plaît ?

— En voilà encore trois qui passent à la lisière, — ajouta Antonov qui avait d’excellents yeux, en s’approchant de nous et en cachant derrière son dos la pipe qu’il fumait en ce moment. — Et celui qui est devant a sorti son fusil de l’étui, on le voit très bien, Votre Seigneurie…

— Tiens, il a tiré, mes frères ! voilà la fumée qui blanchit — dit Velentchouk qui se trouvait dans un groupe de soldats un peu derrière nous.

— Le vaurien vise probablement dans notre ligne — remarqua un autre.

— Regardez combien sont sortis du bois ; ils examinent sans doute le terrain, ils veulent choisir cet endroit, ils veulent mettre ici le canon — ajouta un troisième. — Si on envoyait un obus dans le tas, voilà, ils barboteraient…