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tout ce qui n’était pas soldat, pour comprendre combien il lui était difficile, en un tel moment, de ne pas se battre avec un brosseur grossier, ou qui, simplement, se rencontrait sur sa route, avec un Cosaque, avec un fantassin, avec un émigrant, ou, en général, avec quiconque n’était pas artilleur. Il se battait et cherchait querelle non pas tant pour son propre plaisir que pour le maintien de l’esprit soldatesque dont il semblait être le représentant.

Le troisième soldat, assis sur le talus autour du bûcher, avait une boucle à l’oreille, de petites moustaches hérissées, une physionomie d’oiseau et une petite pipe de porcelaine entre les dents, c’était le conducteur Tchikine. Ce cher Tchikine, comme l’appelaient les soldats, était un blagueur. Soit pendant un froid terrible, dans la boue jusqu’aux genoux, sans manger de deux jours, en expédition, à la revue, à l’exercice, le cher homme, toujours et partout, faisait des grimaces, exécutait des tours avec ses jambes et débitait de telles plaisanteries, que tout le peloton riait à se tordre. Dans les haltes ou au campement, se réunissait toujours autour de Tchikine un groupe de jeunes soldats et avec eux il faisait une partie de filka[1] ou leur racontait des contes sur un soldat rusé et un milord anglais, ou représentait un Tatar, un Alle-

  1. Jeu de cartes en faveur parmi les soldats.