Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir taillé le drap et bâti la doublure, il le serra dans sa tente, sous son oreiller, il lui arriva un malheur ; le drap, qui coûtait sept roubles, disparut !

Velentchouk, les larmes aux yeux, les lèvres décolorées, tremblantes, avec des sanglots contenus, déclara ce malheur au sergent-major. Mikhaïl Doroféitch se fâcha. Au premier moment, de dépit, il menaça le tailleur ; mais ensuite, en homme bon et aisé, il laissa tomber l’affaire et n’exigea pas de Velentchouk la remise du prix du manteau. Malgré toute la peine que se donnait Velentchouk, empressé, malgré tous les pleurs qu’il versait en racontant ce malheur, le voleur ne se trouva point. Les soupçons se portaient très fort sur un terrible débauché, le soldat Tchernov qui dormait avec lui dans la même tente, mais il n’y avait acune preuve positive. L’autoritaire très diplomate Mikhaïl Doroféitch, en homme aisé qui s’occupe de petits tripotages avec le surveillant de l’arsenal et le chef de l’artel, les aristocrates de la batterie, oublia bien vite la perte de son vêtement. Velentchouk, au contraire, n’oubliait pas son malheur. Les soldats racontaient qu’alors ils eurent peur qu’il ne se suicidât ou ne s’enfuît dans les montagnes, tellement ce malheur l’avait impressionné. Il ne buvait ni ne mangeait, il ne pouvait même travailler et pleurait sans cesse. Trois jours après, il vint trouver Mikhaïl Doroféitch et tout pâle, d’une main tremblante, tira du parement de sa