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fantassins, avec une joie évidente, se dispersèrent dans les ruelles tortueuses, et l’aoul déserté momentanément s’animait. Dans un endroit un toit tombait, la hache frappait le bois résistant, et une porte était enfoncée. Ailleurs s’enflammait une meule de foin, une haie, une hutte, et la fumée épaisse comme une colonne s’élevait dans l’air clair. Voilà… un Cosaque traîne un sac de farine et un tapis, un soldat au visage joyeux porte dans la hotte une cuvette de fer blanc et un torchon ; l’autre, les bras écartés, tâche d’attraper deux poules qui, en gloussant, se débattent contre la haie ; le troisième a trouvé quelque part un énorme pot au lait, boit à même, et avec un éclat de rire le lance à terre.

Le bataillon avec lequel j’avais quitté la forteresse N*** était aussi dans l’aoul. Le capitaine assis sur le toit d’une hutte lançait de sa pipe courte des bouffées de fumée de tabac sambrotalique avec un air si indifférent qu’en le voyant j’oubliais que j’étais dans l’aoul ennemi, et je me figurais être chez moi.

— Ah ! Vous aussi êtes là ! — fit-il en me remarquant.

La haute figure du lieutenant Rozenkrantz se faisait remarquer çà et là dans l’aoul. Sans s’arrêter un moment, il donnait des ordres ; il avait l’air d’un homme fort occupé. J’ai vu avec quel air triomphant il sortit d’une hutte suivi de