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gnait comme s’il se fût agi de son meilleur ami. Quand ce Tchetchenze fut guéri, il le laissa partir avec des cadeaux. Plus tard, pendant une expédition, quand le lieutenant, entouré de ses soldats, reculait en se défendant de l’ennemi, il entendit qu’un des ennemis prononçait son nom, et le kounak blessé sortit en avant et, avec des signes, invita le lieutenant à faire la même chose.

Le lieutenant s’approcha de son kounak et lui serra la main. Les montagnards se tenaient au loin et ne tiraient pas ; mais dès que le lieutenant eût fait tourner son cheval, quelques-uns tirèrent sur lui et une balle lui érafla le dos. Une autre fois, je l’ai vu moi-même, dans la forteresse, une nuit qu’il y avait le feu et que deux compagnies de soldats tâchaient de l’éteindre, tout à coup, parmi la foule, parut sur un cheval noir la haute figure d’un homme éclairé par la flamme pourpre de l’incendie. L’arrivant bouscula la foule et s’approcha du feu. Quand il fut très près, le lieutenant s’élança de son cheval et disparut dans le bâtiment en flammes. Cinq minutes après, il en sortait avec les cheveux et le coude brûlés, et portant sur sa poitrine deux petits pigeons qu’il venait de sauver des flammes.

Il se nommait Rozenkrantz, mais il parlait souvent de son origine, qu’il faisait remonter d’une façon quelconque jusqu’aux Variag, et il établissait nettement que ses aïeux étaient de vrais Russes.