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fois, lui dît qu’il n’y avait en ceci aucune bravoure ; mais il croyait de son devoir de faire souffrir les gens desquels, soi-disant, il était désenchanté, ou qu’il faisait profession de haïr et de mépriser.

Il ne se séparait jamais de deux objets : l’énorme image suspendue à son cou, et le poignard qu’il portait au-dessus de sa chemise et qu’il gardait même au lit. Il était très sérieusement convaincu qu’il avait des ennemis. Son plus grand plaisir était de se persuader qu’il avait à se venger de quelqu’un et à laver un affront dans le sang. Il était convaincu que les sentiments de haine, de vengeance et de mépris du genre humain sont les sentiments les plus nobles et les plus poétiques. Mais sa maîtresse, une Circassienne — que par la suite j’ai rencontrée — disait que c’était l’homme le meilleur et le plus doux, et que chaque soir il écrivait ses sombres mémoires, faisait ses comptes sur du papier quadrillé et priait Dieu à genoux. Et combien souffrit-il rien que pour paraître à soi-même ce qu’il voulait être, ou parce que ses collègues et les soldats ne pouvaients le comprendre tel qu’il le désirait ? Une fois, pendant l’une de ses expéditions nocturnes au bord de la route, avec ses kounak, il lui arriva de blesser un Tchetchen non pacifié en lui envoyant une balle dans la jambe, et de le faire prisonnier. Sept semaines après cela, ce Tchetchenze demeurait chez le lieutenant, et le lieutenant le veillait, le soi-