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ture. Mais je n’ai pas ma volonté ; par moi, une force, un élément quelconque l’aime ; c’est tout le monde, toute la nature qui pousse cet amour dans mon âme et me dit : aime. Je l’aime non avec la raison, mais avec mon imagination, par tout mon être. En l’aimant, je me sens partie indivise de toute la nature heureuse, divine. J’écrivais autrefois sur les nouvelles convictions que j’élaborais dans ma vie solitaire, mais personne ne peut savoir avec quelle difficulté elles se sont élaborées en moi, avec quelle joie j’ai reconnu et vu la nouvelle voie ouverte pour moi dans la vie. Je n’avais en moi rien de plus précieux que ces convictions… Et voilà !… l’amour est venu, et je n’ai nul regret de les voir s’évanouir ! Même il m’est difficile de comprendre que j’aie pu m’en tenir à de telles inspirations monotones, froides, abstraites. La beauté est venue et a réduit en poussière tout ce travail égyptien, intérieur, de la vie. Et pas même le regret de tout ce qui a disparu ! Le sacrifice de soi-même n’est que sottise. C’est l’orgueil, l’asile du malheur mérité, c’est le salut de l’envie pour le bonheur d’autrui. Vivre pour les autres, faire le bien ! Pourquoi, quand dans mon âme il n’y a que l’amour de moi-même et un seul désir, l’aimer et vivre avec elle de sa vie ? Maintenant, je désire le bonheur, non pour les autres, non pour Loukachka ; maintenant, je n’aime pas ces autres. Auparavant, j’aurais dit que tout cela