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dait-il. « Tous me disent que je n’aimai jamais. Suis-je donc un monstre moral ?» Et il se remémorait ses entraînements. Il se rappelait les premiers temps de sa vie mondaine, la soeur d’un de ses amis avec qui il passait des soirées entières devant la table, il revoyait la lampe éclairant ses doigts effilés occupés d’un travail, et le bas du visage beau et fin ; il se rappelait leurs conversations, toujours les mêmes, et l’embarras commun, et le sentiment perpétuel de révolte contre cette gêne dans les relations. Une voix quelconque lui disait toujours : Pas ça, pas ça, et en effet, ce n’était pas cela. Ensuite il se souvenait d’un bal et de la mazurka avec la belle D… « Comme j’étais amoureux cette nuit, comme j’étais heureux ! Et quel chagrin et quel dépit ai-je éprouvés quand je m’éveillai le lendemain et me sentis libre ! Eh bien ! Pourquoi l’amour ne vient-il pas, pourquoi ne me lie-t-il pas pieds et poings ? » pensait-il. « Il n’y a pas, il n’y a pas d’amour ! Cette voisine qui m’a dit à moi ainsi qu’à Doubrovine et au chef de la noblesse, qu’elle aime les étoiles, n’était pas non plus cela. » Et maintenant, il se rappelait ses occupations à la campagne, et là encore, il n’y avait rien où arrêter avec joie ses souvenirs. Une idée traversa son esprit. « Parleront-ils longtemps de mon départ ? » Mais à qui se rapporte le pronom ils, il l’ignore. Ensuite une certaine pensée lui fait froncer les sourcils et prononcer des sons inintelligibles. C’est le sou-