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quelle, pendant un certain temps, il pensa se consacrer, et même en amour, auquel il ne croyait pas. Il se demandait où dépenser toute cette force de la jeunesse, éphémère dans la vie de l’homme ; dans l’art, dans la science, dans l’amour, dans l’activité pratique ? Il voulait appliquer non la force de l’esprit, du cœur ou de l’instruction, mais cet élan qui ne se retrouve pas, ce pouvoir, qui n’est donné qu’une fois à l’homme, de faire tout ce qu’il veut de lui-même, et comme il lui semble, de tout le monde. Il y a, il est vrai, des hommes privés de cet élan, et qui, dès en entrant dans la vie, mettent sur eux le premier collier qui se trouve, et avec lui, travaillent honnêtement jusqu’à la fin de leurs jours. Mais Olénine reconnaissait fortement en lui la présence de ce tout-puissant dieu de la jeunesse, cette capacité de se transformer en un désir, en une idée, la capacité de vouloir et d’agir, de se jeter tête baissée dans l’abîme sans fond, sans savoir pourquoi, pour quel but. Il portait en soi cette conscience, il en était fier, et sans même s’en rendre compte, il en était heureux. Jusqu’ici il n’avait aimé que lui-même et ne pouvait pas ne pas s’aimer parce qu’il en attendait quelque chose de bon et n’était pas encore désillusionné de soi-même. En quittant Moscou, il se trouvait dans cette disposition heureuse, juvénile de l’esprit où le jeune homme, ayant conscience des fautes d’autrefois, se dit tout à coup que tout cela n’était que folie, que