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— Tu es passé, mon temps, et tu ne reviendras plus, — prononça-t-il en sanglotant, et il se tut. — Bois, pourquoi ne bois-tu pas ? — s’écria-t-il soudain, de sa voix étourdissante, sans essuyer ses larmes.

Ce qui le touchait le plus, c’était une chanson taveline. Elle comptait peu de mots, cette chanson, mais tout son charme était renfermé dans l’accompagnement triste. Aie ! daïe ! dalalaïe ! Erochka traduisit les paroles de la chanson : « Un brave jeune homme conduisait le bétail de l’aoul dans la montagne. Les Russes sont venus, ils ont incendié l’aoul, étranglé tous les hommes, fait captives les femmes. Le brave homme revint de la montagne. Où était l’aoul, se trouve maintenant une place déserte ; il n’y a plus ni mère, ni frère, ni maison ; un seul arbre est resté. Le brave s’asseoit sous l’arbre et pleure : Je suis resté seul comme toi, seul ! Et le brave chantait : Aie ! daïe ! dalalaïe ! » Le vieux répéta plusieurs fois ce refrain qui touchait l’âme comme un gémissement.

En achevant le dernier refrain, le vieux, tout à coup, saisit le fusil suspendu au mur, courut en hâte dans la cour et tira deux coups en l’air. Et de nouveau, encore plus triste il chanta : « Aie ! daïe ! dalalaïe ! » et il se tut.

Olénine, sortant derrière lui sur le perron, en silence regarda dans la direction, où brillèrent les coups, le ciel sombre couvert d’étoiles. La mai-