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et, jusqu’à l’âge de vingt-quatre ans, n’avait choisi aucune carrière, ni fait quoi que ce soit. Il était ce qu’on appelle dans la société de Moscou « un jeune homme ».

À dix-huit ans, Olénine était aussi libre que peuvent l’être, seuls, les riches jeunes gens russes, de la quarantième année, qui dès le jeune âge sont restés orphelins. Pour lui, n’existait aucun frein, ni physique, ni moral. Il pouvait se permettre tout, il n’avait besoin de rien et rien ne le liait. Il n’avait ni famille ni patrie, ni foi ni besoins. Il ne croyait à rien et ne reconnaissait rien. Toutefois, ce n’était pas un jeune homme sombre, ennuyé, raisonneur, mais, au contraire, un vrai boute-en-train. Il avait déclaré que l’amour n’existait pas, mais la présence d’une femme jeune et belle le faisait toujours tressaillir. Il savait depuis longtemps que les honneurs et les titres ne sont rien ; mais involontairement, il éprouvait du plaisir quand, au bal, le prince Serge s’approchait de lui et lui adressait des paroles amicales. Mais il ne s’adonnait à toutes ses fantaisies qu’autant qu’elles ne le liaient pas. Aussitôt que lancé dans un entraînement, il commençait à sentir l’approche du travail et de la lutte, de la lutte mesquine de la vie, il se hâtait instinctivement de se détacher du sentiment ou de l’action et de reprendre sa liberté. Ainsi agissait-il dans la vie mondaine, le service, l’administration de ses biens, la musique, à la-