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défendre sa vie et mourir ou trembler. Il pensait à Dieu, à la vie future, comme il ne l’avait pas fait de longtemps. Et autour de lui, c’était la même nature sombre, sévère, sauvage. « Vaut-il de vivre pour soi, — disait-il, — quand on meurt ainsi, sans faire rien de bon, si bien que personne ne s’en aperçoit ? » Il montait dans la direction où, croyait-il, se trouvait la stanitza. Il ne pensait déjà plus à la chasse. Il sentait la fatigue meurtrière, et surtout attentivement, presqu’avec horreur, il observait chaque buisson, chaque arbre, attendant à chaque moment la fin de sa vie. Après avoir erré assez longtemps, il se trouva le long d’un fossé dans lequel coulait l’eau froide du Terek, et pour ne plus errer, il résolut de suivre ce fossé. Il allait, ne sachant lui-même où ce chemin le mènerait. Tout à coup, derrière lui, craquèrent les roseaux. Il tressaillit et saisit son fusil. Il eut honte. Le chien, en respirant lourdement, se jeta dans l’eau froide du fossé et commença à barboter.

Il but avec lui et marcha dans la direction où coulait le fossé, en supposant qu’elle le mènerait à la stanitza. Mais malgré la compagnie du chien, autour de lui, tout lui semblait encore plus triste. La forêt s’assombrissait, le vent soufflait de plus en plus fort dans les sommets des vieux arbres crevassés. Quelques grands oiseaux, en poussant des cris, volaient autour de leurs nids