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de notre côté ! J’étais toujours plongé dans mes pensées et tout à coup, j’entends un troupeau dans la forêt, et quelque chose tressaille en moi. Petite mère, approchez ! Elle flânera, — pensais-je. — Je reste immobile, sans remuer, et le cœur bat, bat, bat comme s’il allait se briser. Ce printemps, comme ça un grand troupeau s’approchait. Je dis au nom du Père et du Fils… et déjà voulais tirer. Mais elle cria à ses petits marcassins : « Un malheur mes enfants, un homme est ici ! » et tous se jetèrent dans les buissons. Je crois que je l’aurais broyée.

— Comment ce sanglier a-t-il dit à ses petits qu’il y avait là un homme ? — demanda Olénine.

— Et toi, comment penses-tu ? Tu crois que la bête est sotte ? Non, elle est plus intelligente que l’homme, bien qu’elle s’appelle sanglier. Elle sait tout. Par exemple, l’homme marche sur une piste et ne remarque rien, et le sanglier, dès qu’il trouve tes traces, s’enfuit aussitôt, donc il a de l’esprit ; tu ne sens pas ta puanteur, et elle la sent. Et il faut dire : tu veux la tuer, elle veut rester vivante dans la forêt ; tu as une loi, elle en a une autre : c’est un sanglier, mais il n’est pas pire que toi, c’est aussi une créature de Dieu. Eh ! eh ! l’homme est bête, bête, bête ! — répéta plusieurs fois le vieux, puis, baissant la tête, il resta pensif.

Olénine, lui aussi, devint songeur. Il descendit du perron, et, les bras croisés derrière le dos, en silence, il se mit à marcher dans la cour.