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qui avaient le plus besoin, vu qu’on m’avait chargé de distribuer un peu d’argent ? Le naïf Ivan Fédotitch (il est mort un an après), bien qu’occupé de son commerce, s’interrompit un moment pour me servir. Il réfléchissait ; évidemment il était très embarrassé. Un garçon déjà âgé nous entendait ; il entra dans le conciliabule.

Ils se mirent à nommer des personnes parmi lesquelles je connaissais quelques-unes, et ils ne pouvaient tomber d’accord « Paramonovna ? » proposa le garçon. — Oui, c’est çà, il arrive qu’elle ne mange pas, cependant, elle fait la noce. — Bah ! quand même. — Et Spiridon Ivanitch et ses enfants ? — Ça, c’est vrai. » Mais Ivan Fédotitch éleva aussi un doute sur le compte de ce dernier. « Akoulina ? — Mais elle en reçoit. — Eh bien, l’aveugle, peut-être. » Mais là ce fut mon tour de discuter. Je l’avais vu à l’instant. C’était un aveugle de quatre-vingts ans, sans foyer. Il semble difficile de trouver une situation plus pénible. Je l’avais vu tout à l’heure ; il était couché, ivre, sur les couettes d’un lit haut, et ne me sachant pas là, il injuriait de la façon la plus grossière sa maîtresse, une femme relativement jeune. Ils nommèrent encore un garçon sans bras, avec sa mère. Je voyais que le patron était embarrassé, précisément à cause de sa bonne foi, car il savait bien que tout ce qu’on donnerait irait bientôt dans son débit. Mais je voulais me débarrasser