Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femmes qui n’étaient pas ivres-mortes couchaient avec les hommes. Beaucoup de femmes, avec des enfants, étaient couchées sur des planches étroites avec des étrangers. Le spectacle était terrible par la misère, la débauche et la terreur de tous ces gens, et principalement par le grand nombre de gens qui se trouvaient dans cette situation. Après ce logis, un pareil, un troisième, un dixième, un vingtième, sans fin, et partout la même puanteur suffocante, partout l’étroitesse, le mélange des sexes : des hommes et des femmes ivres jusqu’à l’abrutissement, et sur tous les visages, le même effroi, la même docilité, et la même culpabilité. De nouveau je sentis de la honte et de la peine comme dans la maison de Liapine et je compris que ce que je voulais faire était mauvais, sot et par conséquent impossible. Et déjà je n’inscrivais personne, je n’interrogeais pas sachant qu’il n’en sortirait rien.

J’avais beaucoup de peine. À la maison de Liapine, j’étais comme un homme qui, par hasard, a vu une plaie horrible sur le corps d’un autre homme. Il plaint cet homme, il a honte de ne l’avoir pas plaint auparavant, et il peut encore espérer soulager le malade. Maintenant j’étais comme un médecin qui est venu, avec ses remèdes, chez le malade, a découvert sa plaie, l’a mise au vif et doit s’avouer à lui-même qu’il a fait tout cela en vain, que son remède ne vaut rien.