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Elle se mit à rire sans me répondre. « Avec quoi vivez-vous ? — répétai-je pensant qu’elle n’avait pas compris ma question. « Je passe mon temps aux caboulots », dit-elle. Je ne compris pas et lui demandai de nouveau : « De quoi vivez-vous ? » Elle ne me répondit pas et se mit à rire.

Dans la quatrième loge où nous n’étions pas encore, éclatèrent des rires de femmes. Le petit bourgeois, le maître du logis, sortit de chez lui et s’approcha de nous. Évidemment il avait entendu mes questions et les réponses de la femme. Il la regarda sévèrement et s’adressa à moi : « Une prostituée », dit-il, évidemment satisfait de savoir ce mot employé dans la langue officielle et qu’il prononçait sans faute. Cela dit, avec un sourire imperceptible et respectueux de plaisir à mon adresse, il s’adressa à la femme. Aussitôt tout son visage se changea. Avec une hâte particulière, méprisante, comme on parle à un chien, il lui dit sans la regarder : « Pourquoi bavarder comme ça : « je passe mon temps aux caboulots. » Si tu restes aux cabarets, tu dois savoir que t’es une prostituée. Une prostituée, répéta-t-il encore. Voyez, elle ne sait même pas son nom… »

Ce ton me choquait. — « Il ne faut pas l’offenser, dis-je. Si nous vivions selon Dieu, ça ne serait pas ainsi. »

— « Oui, c’est juste, — dit Le maître avec un sourire forcé.