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rappelle que de vrais joueurs, point sentimentaux, me disaient que ce jeu était particulièrement agréable parce qu’on ne voyait pas celui qu’on gagnait, comme il arrive aux autres jeux. Le garçon de salle n’apportait même pas de l’argent mais des jetons, chacun perdait une petite mise et on ne voyait pas les angoisses… Il en est de même de la roulette qui devrait être sévèrement défendue partout.

Il en est de même de l’argent. J’ai un rouble magique, éternel. Je détache le coupon et m’éloigne de toutes les œuvres du monde. À qui fais-je du mal ? Moi, je suis l’homme le plus doux, le meilleur. Mais c’est précisément le loto ou la roulette où je ne vois pas celui qui se suicide après la perte en me donnant ce coupon que je détache de mes papiers, exactement à angle droit.

Je n’ai fait, ne fais et ne ferai rien que détacher les coupons et je crois fermement que l’argent est la représentation du travail. Mais c’est étonnant ! Et on parle des fous ! Mais quelle folie peut être plus terrible que celle-ci ? Un homme intelligent, savant, raisonnable dans tous les autres cas, vit follement et se tranquillise en n’achevant pas la seule chose nécessaire à dire pour que son raisonnement ait un sens, et il se croit raisonnable. Les coupons représentent le travail ! Le travail ! Oui, mais de qui ? Évidemment pas de celui qui les possède, mais de celui qui travaille.