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et ils éclatent de rire sans aucune cause, parce qu’ils sont gais. Ainsi se sacrifie cette charmante jeunesse. Elle n’a pas eu encore le temps d’inventer pourquoi elle doit se sacrifier, mais elle sacrifie déjà son attention, son travail, sa vie pour remplir le bulletin d’où peut ne rien sortir. Que serait-ce donc si l’affaire en valait la peine ? Il y eut et il y aura toujours une œuvre, une seule qui vaille que l’homme lui donne toute sa vie.

Cette œuvre, c’est l’union cordiale des hommes et la destruction de l’obstacle que les hommes ont élevé entre eux pour que le plaisir d’un richard ne soit pas troublé par les hurlements sauvages des hommes abrutis et par les gémissements provoqués par la faim, le froid, la souffrance.

Le recensement met sous nos yeux, nous gens aisés appelés instruits, toute cette misère, cette oppression qui se cache dans tous les coins de Moscou. Deux mille hommes de notre milieu, qui sont à un degré supérieur de l’échelle, se trouvent face à face avec des milliers de gens qui sont au degré inférieur de la société. Ne laissons pas échapper cette occasion de l’union ; par ces deux mille hommes conservons cette union et employons-la à nous débarrasser nous-mêmes de l’inanité et de l’abjection de notre vie, à affranchir les opprimés des maux et des malheurs qui ne permettent pas aux hommes sensibles d’entre nous de jouir avec calme de nos plaisirs.