Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nourriture, le vêtement, le travail des hommes uniquement pour trouver des distractions et de la variété ; c’est pourquoi la conscience de l’homme de notre monde, s’il en a au moins un peu, ne peut s’endormir et empoisonne toutes les commodités et les agréments de la vie que nous fournissent les frères qui souffrent et qui meurent de travail.

Mais c’est peu que chaque homme conscient le sente lui-même, il serait heureux de l’oublier, mais il ne peut le faire en notre temps ; toute la meilleure partie de la science et de l’art, celle en quoi est le sens de sa vocation, nous rappelle toujours notre cruauté et notre situation illégale. Les vieilles justifications solides sont toutes détruites ; les nouvelles justifications éphémères du progrès, de la science pour la science, de l’art pour l’art, ne supportent pas la lumière du simple bon sens.

La conscience des hommes ne peut être calmée par de nouvelles inventions, elle ne peut l’être que par un changement de la vie qui n’aura pas besoin de justification.

Le danger de notre vie : nous avons beau tâcher de nous dissimuler le danger simple, le plus évident, de l’épuisement de la patience des hommes que nous étranglons ; nous avons beau réagir contre ces dangers par les tromperies de toutes sortes, par la violence, par la flatterie, ce danger croît chaque jour, chaque heure ; il nous menace depuis longtemps et maintenant il est si mûr que nous