Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son injustice, il lui était précisément désavantageux. J’avais arrangé toute ma vie, ma nourriture, mon sommeil, mes distractions, en vue de ces heures de travail intellectuel, et sauf ce travail, je ne faisais rien.

Il en résultait : 1o que je restreignais mon cercle d’observations et de connaissances ; que souvent, je n’avais pas d’objets d’étude, et que souvent aussi, en me proposant de décrire la vie des hommes (la vie des hommes, c’est le problème éternel de toute activité intellectuelle), j’ai senti mon ignorance et ai dû apprendre, interroger sur tel objet que connaissait tout homme qui ne s’adonnait pas à un travail spécial. 2o Je m’installais pour écrire, mais sans en avoir aucune envie, et personne ne me demandait de le faire, c’est-à-dire que personne ne me demandait mes idées, mon nom seul était exigé pour les considérations spéciales aux revues. Je tâchais de tirer de moi ce que je pouvais. Parfois je n’en pouvais rien sortir, parfois j’en tirais quelque chose de très mauvais et je sentais du mécontentement et de l’ennui. De sorte que souvent il se passait des jours et des semaines où je mangeais, buvais, dormais, me chauffais et ne faisais rien ou ne faisais que ce qui n’était nécessaire à personne, c’est-à-dire que je commettais le crime le plus indiscutable, le plus vilain, le crime qu’un homme du peuple ne commet que rarement ou presque jamais.