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franchement, de renoncer à cette appréciation mensongère que je formais de moi-même, je ne voyais pas la plupart des mensonges que je me faisais à moi-même. Quand je me fus repenti, c’est à dire quand j’eus cessé de me regarder comme un être particulier, mais quand je me vis comme un homme tel que les autres, seulement alors ma vie devint claire pour moi.

Avant, je ne pouvais répondre à la question que faire ? parce que je me la posais mal.

Avant de m’être repenti, je posais la question ainsi : quelle activité dois-je choisir, moi, un homme muni de l’instruction et des talents que j’ai acquis ?

Comment payer avec cette instruction et ces talents tout ce que j’ai pris et prends au peuple ? Cette question est irrégulière, parce qu’elle contient en soi la représentation fausse que je ne suis pas un homme ordinaire, mais un homme particulier destiné à servir les hommes avec l’instruction et les talents acquis par l’exercice de quarante années. Je me posais la question, mais, en réalité, j’y répondais d’avance, je définissais déjà le genre d’activité qui m’était agréable et par laquelle j’étais appelé à servir les hommes. Je me demandais : Comment, moi, un écrivain si beau, doué de tant de savoir et de talents, les emploierai-je au profit des hommes ? En réalité, il fallait poser la question comme elle se poserait pour un savant rabbin qui a suivi les cours complets de Talmud et