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Nous sommes si habitués à nos représentants du travail intellectuel, gras et lustrés, ou dégénérés, qu’il nous paraît barbare qu’un savant ou un peintre laboure ou ramasse du fumier. Il nous semble que tout sera fini, que sur le chariot s’émiettera toute sa sagesse et que les grandes images artistiques qu’il porte dans son sein seront salies dans le fumier. Mais nous y sommes si habitués, qu’il ne nous semble pas étrange que les serviteurs de la science, c’est-à-dire les serviteurs et maîtres de la vérité, forcent les autres à faire pour eux ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes, et passent la moitié de leur temps à bien manger, à fumer, à bavarder sur des sujets libéraux, à lire les journaux et les romans, à aller au théâtre. Il ne nous paraît pas étrange de voir notre philosophe au restaurant, au théâtre, au bal ; il ne nous paraît pas étrange de savoir que ces artistes qui adoucissent et ennoblissent nos âmes ont passé toute leur vie avec le vin, les cartes, les filles publiques, ou pis encore.

La science et l’art sont choses très belles, mais précisément pour cela il ne faut pas les gâter en y joignant la débauche, c’est-à-dire en se dispensant de servir par le travail sa propre vie et celle des autres hommes.

La science et l’art ont fait avancer l’humanité. Oui, mais pas parce que les savants et les artistes, sous prétexte de division du travail, par la parole, et