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outre on approuvait ma bonté, ma sensibilité, on me laissait comprendre que ce spectacle n’avait agi si fortement sur moi que parce que moi, Léon Nikolaïevitch, je suis très bon et très doux. Et je le croyais volontiers.

Avant que j’eusse pu me ressaisir, au lieu du sentiment de remords, de repentir que j’éprouvais au commencement, il y avait déjà en moi un sentiment de satisfaction de ma vertu et le désir de la montrer aux hommes.

Il est probable en effet, me disais-je, que ce n’est pas moi, avec ma vie luxueuse, qui suis coupable en cela, mais que ce sont les conditions nécessaires de la vie. Le changement de ma vie ne peut réparer le mal que j’ai vu. En changeant ma vie je ne ferais que me rendre malheureux, moi et les miens, et les miséreux resteraient ce qu’ils sont.

Aussi mon but n’était-il plus de modifier ma vie, comme il m’avait semblé tout d’abord, mais d’aider, autant qu’il était en mon pouvoir, à améliorer la situation de ces malheureux qui avaient excité ma compassion. Une chose est certaine : j’étais très bon, très doux et désirais faire le bien du prochain ; et j’ai commencé à réfléchir au plan d’une activité bienfaisante où je pourrais montrer toute ma vertu. Je dois dire cependant, qu’en réfléchissant à cette activité bienfaisante, je sentais tout le temps, au fond de mon âme, que ce n’était pas cela, mais, comme il arrive souvent, l’activité de