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dération, elle doit au moins savoir que le velours et la soie, les bonbons et les fleurs, les dentelles et les robes ne poussent pas d’eux-mêmes, qu’il y a des hommes qui les font. Il semble impossible qu’elle ne sache pas quels hommes font tout cela, dans quelles conditions et pourquoi ils le font. Elle ne peut ignorer que la couturière, qu’elle a même grondée, ne lui a pas fait cette robe par amour pour elle ; elle ne peut donc ignorer que tout cela se fait par nécessité, tant sa robe que le velours, les fleurs, les dentelles.

Peut-être sont-elles si étourdies qu’elles ne réfléchissent pas à cela… Mais ce fait que cinq ou six personnes âgées, respectables, souvent maladives, valets et femmes de chambre, n’ont pas dormi et ont peiné pour elle, cela elle ne peut pas l’ignorer. Elle voit leurs visages mornes et fatigués. Elle ne peut non plus ignorer que cette nuit-là, il a gelé à 28°, que le vieux cocher est resté toute la nuit sous ce froid assis sur son siège. Je sais qu’en effet elles ne voient pas cela, et si elles toutes, jeunes femmes et jeunes filles que le bal hypnotise, ne voient pas tout cela, on ne peut les en blâmer : elles font, les malheureuses, ce qui est jugé bon par les plus âgés. Mais ceux-ci, comment expliquent-ils leur cruauté envers des êtres humains ?

Les plus âgés donnent toujours la même explication : « Je ne force personne, les objets je les achète ;