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mêle, se lèvent dans l’obscurité, se hâtent d’aller à l’usine, dont les machines hurlent, s’installent devant le travail dont ils ne voient ni le but, ni l’utilité pour eux, et souvent travaillent, dans la chaleur, l’étouffement, la boue, avec les repos les plus courts, une heure, deux, trois… douze et plus, consécutivement. Ils s’endorment, de nouveau se lèvent, et, de nouveau, continuent le même travail insensé pour eux et auquel ils sont contraints uniquement par la misère.

Ainsi se passent les semaines avec les interruptions des fêtes. Et voilà, je vois des ouvriers qui sortent à l’une de ces fêtes. Ils sortent dans la rue : partout les cabarets, les débits du trésor, les filles publiques. Les voilà ivres, ils tirent par le bras des filles publiques, comme celle qu’on menait au poste. Ils les entraînent vers eux ; l’un prend un cocher et va en voiture ; d’autres vont à pied d’un cabaret à l’autre, crient des injures, titubent, parlent sans savoir eux-mêmes ce qu’ils disent. Auparavant, quand je voyais ce tohu-bohu d’ouvriers, je m’écartais d’eux avec dégoût, et j’étais prêt à les blâmer ; mais depuis que j’entends chaque jour les sifflets et que je sais ce qu’ils signifient, je m’étonne seulement que tous ne deviennent pas de ces va-nu-pieds si nombreux à Moscou, que les femmes ne deviennent pas comme cette prostituée que j’avais rencontrée près de ma maison.