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vers le mal, tout ce que peuvent faire les hommes qui n’agissent pas ainsi, c’est d’exhorter les autres à faire ce qui fait leur vrai bien. On a beau persuader les hommes que leur bien sera plus grand si tous entrent au régiment, sont privés de terre, donnent tout leur travail pour les impôts ; mais tant que les hommes ne considéreront pas cela comme leur bien et par suite ne le feront pas librement, on ne peut appeler ces actes le bien général des hommes. Ce qui est conforme au bien de l’humanité, c’est ce que les hommes accomplissent librement. Et c’est là le seul critérium du bien. Or, la vie des hommes est pleine de tels actes.

Dix ouvriers installent une tonnellerie pour travailler ensemble et, en s’entendant ainsi, ils font indiscutablement une œuvre commune bonne pour eux. Mais on ne saurait prétendre que ces dix ouvriers, s’ils forçaient un onzième à s’associer à leur artel, seraient en droit d’affirmer que leur bien général sera aussi celui de ce onzième.

Il en est de même des gens qui donnent à dîner à leurs amis ; on ne saurait affirmer que si l’on exige par force dix roubles de chaque invité pour ce dîner, ce dîner soit pour chacun une bonne chose. Il en est de même des paysans qui décident de creuser pour leurs besoins un étang. Pour ceux qui considèrent cet étang comme un bien supérieur au travail dépensé pour le creuser, avoir cet étang sera le bien général ; mais pour celui qui