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nouveau, je parle ou j’écoute. Je mange, je m’amuse ; je mange, je parle de nouveau et j’écoute. Je mange et je me couche, mais chaque jour, et rien de plus, et je ne puis faire autre chose. Pour que je puisse vivre ainsi, il est nécessaire que du matin au soir le portier, le sommelier, le cuisinier, le valet, le cocher, la blanchisseuse travaillent. Encore je ne parle pas du travail des hommes qui est nécessaire pour que ce cocher, ce cuisinier, ce valet, etc., aient les outils et les objets avec lesquels ils travaillent pour moi : hache, tonneau, brosses, vaisselle, meubles, verres, cirage, pétrole, foin, bois, viande. Tous ces gens travaillent péniblement toute la journée et chaque jour, afin que je puisse causer, manger et dormir ; et moi, homme misérable, je m’imagine pouvoir aider les autres, ces gens qui me nourrissent.

Il n’est pas étonnant que je n’aie secouru personne et que j’aie senti la honte ; le plus étonnant c’est qu’il ait pu me venir une idée si inepte. Cette femme qui soignait le vieux malade, l’aidait ; cette femme qui coupait un morceau de son pain, gagné par un pénible travail des champs, aidait le mendiant. Siméon qui donna trois kopeks gagnés par son travail, aida le mendiant : parce que ces trois kopeks représentaient en effet son travail. Mais moi, je n’ai servi personne, je n’ai travaillé pour personne, et je sais bien que mon argent ne représente pas mon travail.