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Il faut remarquer que le cuisinier était chez nous depuis une semaine, que j’avais vu sa femme, mais ne lui avais jamais parlé. Comme je m’apprêtais à lui dire de me donner de la petite monnaie, elle se pencha rapidement vers ma main pour la baiser. Elle pensait évidemment que je lui donnais le rouble. Je murmurai quelque chose et sortis de la cuisine. J’avais honte comme je n’avais eu de longtemps. J’étais crispé ; je sentais en sortant de la cuisine que je grimaçais et gémissais de honte. Cette honte inattendue et, comme il me semblait, imméritée, me frappait particulièrement parce que, depuis longtemps, je n’en avais éprouvé, et parce qu’il me semblait que moi, un vieillard, je ne la méritais pas. Cela me frappa beaucoup. Je le racontai à mes familiers, à mes connaissances ; tous convinrent qu’ils auraient éprouvé le même malaise. Je me mis à me demander pourquoi j’avais honte ? La réponse me fut donnée par un cas qui m’était arrivé autrefois à Moscou.

J’y ai réfléchi, et j’y ai trouvé l’explication de la honte que j’avais éprouvée dans le cas de la femme du cuisinier, et de toutes les sensations de honte que j’avais éprouvées pendant mon activité bienfaisante à Moscou et que j’éprouvais chaque fois qu’il m’arrivait de donner quelque chose de plus que cette petite aumône aux mendiants et aux chemineaux à qui je suis habitué de donner, ce que