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cette pauvreté des villes que j’ai voulu et n’ai pu soulager.

En effet, il suffit de réfléchir à la situation des habitants de la campagne qui viennent en ville pour gagner le pain ou les impôts quand ils voient tout autour d’eux les milliers de roubles qu’on jette d’une façon folle et les centaines qu’on gagne si facilement, tandis qu’eux-mêmes, par un dur labeur, doivent gagner des kopeks, il suffit d’y réfléchir et pour être étonné que parmi ces gens il reste encore des travailleurs et que tous ne soient pas séduits par le gain facile : le commerce, la mendicité, la débauche, l’escroquerie, le vol même.

Nous, qui participons à cette orgie incessante de la ville, nous sommes si habitués à notre vie qu’il nous semble tout naturel de vivre seul dans cinq énormes chambres chauffées par une quantité de bois suffisante pour préparer la nourriture de vingt familles et les chauffer, d’aller à la distance d’une demi-verste avec deux trotteurs et deux valets, de couvrir de tapis les parquets, de dépenser non pas cinq ou dix mille roubles pour un bal, mais vingt-cinq roubles pour l’arbre de Noël, etc. Mais l’homme qui a besoin de dix roubles pour le pain de sa famille, ou celui à qui l’on prend sa dernière brebis pour sept roubles d’impôts et qui ne peut gagner cette somme par un lourd travail, cet homme ne peut s’habituer à cela. Nous croyons que tout cela semble naturel aux pauvres