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bien pour le mal. Aussitôt après les paroles : « Soyez donc miséricordieux comme aussi votre Père est miséricordieux », il est dit : « Ne jugez point et vous ne serez point jugés ; ne condamnez point et vous ne serez point condamnés ». N’est-ce pas dire de ne point juger le prochain, de ne point instituer de tribunaux pour y juger le prochain ? Je n’eus qu’à me poser cette question pour qu’aussitôt ma raison et mon cœur me répondissent affirmativement. Ceci peut sembler étrange. Moi aussi, j’en étais étonné. Pour montrer combien j’étais éloigné d’une pareille idée, je confesserai une sottise dont je rougis encore. À l’époque où, déjà, j’étais devenu croyant et lisais l’Évangile comme un livre divin, il m’arrivait, en rencontrant mes amis, procureurs et juges, de leur dire en manière de plaisanterie : Ainsi vous jugez toujours, quoiqu’il soit dit : « Ne jugez point et vous ne serez pas jugés ». J’étais tellement persuadé que ces paroles impliquaient uniquement la défense de médire, que je ne me rendais pas compte de l’horrible blasphème que je commettais en parlant ainsi. J’étais si persuadé que ces paroles ne signifient pas ce qu’elles signifient, que je les citais dans leur vrai sens, en manière de plaisanterie.

Je dirai en détail comment je compris enfin ces paroles qui ne peuvent avoir qu’une seule signification, à savoir que le Christ réprouve tous les tribunaux humains, quels qu’ils soient.