Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol24.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

explication qui justifie pourquoi la vie doit être telle qu’elle était autrefois ; et ce qu’on appelle religion, c’est quelque chose dont personne n’a besoin ; si bien que la vie s’est émancipée de toute doctrine et demeure sans aucune définition.

Bien plus : la science, comme il arrive toujours, a érigé cet état accidentel et anormal de notre situation en loi de l’humanité. Les savants — Tiele, Spencer et d’autres, traitent très sérieusement de la religion, comprenant par ce mot les doctrines métaphysiques du principe universel, sans se rendre compte qu’ils ne parlent pas de la religion tout entière, mais seulement d’une de ses parties.

De là ce merveilleux phénomène que nous observons dans notre siècle : nous voyons des hommes intelligents, savants, naïvement persuadés qu’ils se sont affranchis de toute religion uniquement parce qu’ils n’admettent aucune des explications métaphysiques du principe universel qui, autrefois, expliquaient la vie. Il ne leur vient pas à l’idée qu’il faut vivre d’une façon quelconque et qu’ils vivent, et que c’est précisément le principe au nom de quoi ils vivent qui est leur religion. Ces gens sont persuadés qu’ils ont des convictions très élevées et qu’ils n’ont aucune religion. Mais, quoi qu’ils puissent prétendre, ils ont une religion du moment qu’ils accomplissent des actes raisonnés, car un acte raisonné est toujours déterminé