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travaille, précisément parce qu’il profite de son travail. Ainsi, celui qui travaille aura toujours sa nourriture. Il n’aura pas de propriété, mais qu’il ait sa nourriture, cela est hors de question.

La différence entre la doctrine du Christ et celle du monde, par rapport au travail, réside en ceci que, d’après la doctrine du monde, le travail est un mérite particulier de l’homme, grâce auquel il peut entrer en règlement de comptes avec les autres et demander un salaire proportionné au travail qu’il fournit, tandis que, d’après la doctrine du Christ, le travail, la peine, est la condition inévitable de la vie humaine, et la nourriture est la conséquence inévitable du travail. Le travail produit la nourriture, la nourriture, le travail — c’est un cercle éternel : l’un est la conséquence et la raison de l’autre. Si méchant que soit le maître, il nourrira l’ouvrier, comme il nourrira le cheval qui travaille pour lui ; il nourrira l’ouvrier afin qu’il puisse travailler le plus possible, c’est-à-dire que le maître concourt précisément à ce qui constitue le bien de l’ouvrier.

« Le fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme rançon de plusieurs. » D’après la doctrine de Christ, chaque homme, pris indépendamment du monde en général, aura la vie la plus heureuse s’il a compris sa vocation — qui consiste à ne pas exiger qu’on le serve mais à travailler toute sa vie