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La doctrine de Christ, qui enseigne qu’on ne peut pas assurer sa vie et qu’il faut être prêt à mourir à chaque instant, est incontestablement préférable à la doctrine du monde qui enseigne qu’il faut assurer sa vie. Elle est préférable parce que la certitude de la mort et l’insécurité de la vie sont exactement les mêmes et pour les disciples de Christ et pour ceux du monde ; mais la vie elle-même, selon la doctrine de Christ, n’est plus absorbée par les soins inutiles en vue de garantir l’existence ; elle est libre et peut être consacrée au seul but qui lui soit propre — le bien pour soi-même et pour les autres. Le disciple de Christ sera pauvre. Oui, c’est-à-dire qu’il jouira toujours de tous les biens que Dieu a prodigués aux hommes. Il ne ruinera pas son existence. Nous avons appelé la pauvreté une calamité ; mais, en réalité, c’est un bonheur ; et nous aurons beau l’appeler calamité, elle n’en sera pas moins un bonheur. Être pauvre signifie : ne pas vivre dans les villes mais à la campagne ; ne pas rester enfermé dans des chambres mais travailler dans les bois, dans les champs, jouir du soleil, du ciel, de la terre, des animaux ; ne pas se creuser la tête à inventer ce qu’on mangera pour éveiller l’appétit, quels exercices on fera pour activer la digestion ; être pauvre c’est avoir faim trois fois par jour, s’endormir sans passer des heures entières à se retourner sur ses oreillers en proie à l’insomnie, avoir des enfants et ne s’en