Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol24.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lumière du soleil, des champs, des bois. Beaucoup d’entre eux — les femmes presque toutes, arrivent à la vieillesse sans avoir vu plus d’une ou deux fois dans leur vie le lever du soleil, et n’ont jamais vu les champs et les forêts autrement que du fond de leur voiture ou de leur wagon ; jamais ils n’ont rien planté ou semé, ni élevé une vache, un cheval ou un poulet et ignorent comment naissent, grandissent et vivent les animaux. Ces gens ne voient que des étoffes, des pierres, des bois façonnés par le travail des hommes, et encore jamais à la lumière du soleil mais sous un éclairage artificiel ; ils n’entendent que le bruit des machines, des équipages, des canons, le son des instruments de musique ; ils respirent des parfums distillés et la fumée du tabac ; ils mangent, à cause de l’inertie de leurs estomacs et de leur goût dépravé, des aliments pour la plupart non frais et faisandés. Ils changent de lieux sans changer d’existence. Ils voyagent dans des boîtes fermées. À la campagne, à l’étranger, partout, ils ont sous leurs pieds les mêmes tissus, les mêmes bois, et les mêmes tentures leur cachent la lumière du soleil, et les mêmes valets les séparent d’avec les plantes et les animaux.

Comme des prisonniers ils sont toujours privés de ces causes de bonheur. Les prisonniers se consolent avec un brin d’herbe qui croît dans la cour de la prison, avec une araignée ou une souris, et ces gens-là se consolent de même quelquefois