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à alourdir le fardeau de son existence déjà assez lourd et abandonne son âme tout entière, sans réserve, à la doctrine du monde. Aujourd’hui on s’achète un pardessus et des galoches, demain une montre et une chaîne, après-demain on s’installe un appartement avec divan et lampadaire, puis on achète un salon, des tapis, des robes de velours, puis une maison, des trotteurs, des tableaux à cadres dorés, et puis on tombe malade, surmené par un travail excessif — et on meurt. Un autre continue la même tâche et donne sa vie en sacrifice à ce même Moloch, et meurt sans savoir lui-même pourquoi il a vécu de la sorte. Mais peut-être cette existence, qui s’écoule comme nous venons de le dire, est-elle heureuse par elle-même ?

Considérons ce que les hommes ont toujours appelé le bonheur, et vous verrez qu’elle est affreuse. En effet, quelles sont les conditions incontestables du bonheur terrestre ?

Une des premières conditions de bonheur généralement admises par tout le monde, est de pouvoir jouir du ciel, du soleil, de l’air pur, de toute la nature. Toujours les hommes ont considéré comme un grand malheur d’être privés de ces choses. Les prisonniers souffrent surtout de cette privation. Considérons l’existence des hommes qui suivent la doctrine du monde : plus ils ont de succès mondain, plus ils sont privés de ces éléments de bonheur, moins ils jouissent de la