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Tour Soukharewa. Sur un parcours d’une demi-verste le tramway fendait une foule compacte qui se refermait aussitôt derrière lui. Depuis le matin jusqu’au soir, ces milliers d’hommes, dont la grande majorité est affamée et déguenillée, piétinent dans la boue, s’injuriant, se haïssant et se filoutant les uns les autres. Il en est de même sur tous les marchés de Moscou. Ces gens passeront la soirée dans des cabarets et des débits. La nuit — dans leurs bouges et leurs taudis. Le dimanche est pour eux le meilleur jour de la semaine. Et le lundi, dans leurs demeures infectes, ils recommencent le travail qu’ils haïssent.

Réfléchissez à la vie de tous ces hommes, à la situation qu’ils ont abandonnée pour choisir celle où ils sont ; réfléchissez à ce travail sans trêve que, volontairement, supportent ces gens, hommes et femmes, et vous verrez que ce sont de vrais martyrs.

Tous ont abandonné leurs maisons, leurs champs, leurs parents, souvent leurs femmes et leurs enfants, ils ont renoncé à tout ce qui constitue la vie et ils sont venus en ville pour acquérir ce qui, selon la doctrine du monde, paraît indispensable à chacun d’eux. Et tous ces gens — sans parler de ces malheureux que l’on compte par dizaines de mille dans les asiles de nuit, qui ont tout perdu et subsistent d’eau-de-vie et d’aliments corrompus — à commencer par les ouvriers des fabriques, les cochers