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doute augmente ses souffrances, mais en même temps lui donne l’espoir de leur soulagement. Ainsi la contemplation par les pécheurs du bonheur des justes augmente sans doute leurs souffrances en enfer, mais peut-être excite-t-elle en eux l’espoir, bien que vain, d’un soulagement quelconque.

Aie pitié de moi. Aie pitié de mes souffrances, et soulage-les. Envoie-moi Lazare, ce même mendiant qui, pendant la vie, se tint couché à la porte d’un riche, avec l’espoir de se nourrir des miettes tombant de sa table. Quel contraste étonnant, surtout pour les riches Pharisiens qui écoutaient le Seigneur et se moquaient de sa doctrine et de l’emploi juste de la richesse !

Qu’il trempe dans l’eau le bout de son doigt, etc. Cela veut dire que pour un gourmand, c’est l’organe de la gourmandise, la langue, qui souffre particulièrement. La chaleur lui a donné une soif terrible, sa langue est devenue sèche, et il supplie qu’on ordonne à Lazare de soulager un peu ses souffrances.

La flamme, le feu, est le symbole des souffrances les plus épouvantables ; l’image est probablement prise du supplice du feu si souvent employé chez les anciens.

Tu as eu tes biens, tous les biens, tous les plaisirs, toutes les jouissances que peut donner la richesse.

Et Lazare, des maux : la misère, le mépris, la souffrance.

Il est consolé et toi tu es dans les tourments. Il paraît que Lazare est heureux uniquement parce qu’il a souffert sur la terre, tandis que le riche souffre uniquement parce qu’il a été heureux sur la terre. Mais ici il est nécessaire de compléter la réponse par cette pensée que Lazare, dans le malheur, était juste, et le riche, avec toutes ses richesses, était injuste, ne sachant employer ses biens d’une façon juste.

Il y a un grand abîme entre nous. Sans doute, même dans le sens littéral, le lieu de souffrances des pécheurs est séparé du lieu de bonheur des justes ; mais il y a aussi l’abîme moral, selon lequel les méchants ne peu-