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disent que la tentation était le but du séjour de Jésus au désert.

Il s’ensuit de tout ce qui précède que la narration contenue dans notre périscope telle qu’elle est sous nos yeux, est incompatible avec la formule ou conception consacrée officiellement, concernant la divinité du Christ. Ajoutons encore que cette conséquence résulte surtout de ce que le diable propose au Christ de l’adorer. D’après la théologie de l’Église, Christ, c’est-à-dire la seconde personne de la Trinité, est le créateur du diable comme de tout ce qui existe. Le diable le sait mieux que personne ; sa prétention n’est donc pas seulement un blasphème, elle est la plus inconcevable sottise. Or les évangélistes n’ont pas voulu raconter une absurdité ; ils nous représentent Jésus, tenté comme un homme, mais triomphant sans hésitation, sans effort, d’une manière parfaite et décisive.

Mais encore à cet autre point de vue, qui, nous le répétons, est celui des évangélistes, il y a de graves difficultés qui arrêtent le lecteur. Car lors même que nous voudrions écarter toutes celles qui résultent de la présomption de la nature divine du Christ, notre sentiment religieux se refuse encore à admettre que la tentation, c’est-à-dire la provocation au mal, ait pu exercer sur lui une influence quelconque, ne fût-elle que passagère ou provisoire, ne se présentât-elle à son esprit que comme une question à résoudre, comme une hypothèse. En effet, si le mal a pu, nous ne disons pas obscurcir pour un instant la lucidité de son esprit, ou travailler furtivement sa conscience morale, mais seulement glisser pour ainsi dire comme une ombre devant ses yeux de manière à attirer momentanément son attention, la notion de sa sainteté absolue, qui est un élément indispensable de la foi chrétienne, est nécessairement remise en question, ou plutôt elle est positivement compromise.

Cela est si vrai que déjà quelques-uns des anciens Pères de l’Église ont été d’avis que les scènes du temple