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disait : « Si je le voulais, mon Père m’enverrait douze légions d’anges » ; ou celle de Golgotha où le peuple criait : « S’il est le fils de Dieu qu’il descende de la croix » ; puis cette autre parole adressée aux Pharisiens : « Cette génération demande un signe ; mais elle n’aura que celui donné par Jonas aux Ninivites » ; enfin les occasions où la foule voulait le proclamer roi et sa déclaration solennelle : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Tout de même le présent récit, tel qu’il est donné et interprété par les évangélistes, présente des difficultés insurmontables qu’il est de notre devoir de signaler. Nous ne nous arrêterons pas à celles qui ne tiennent qu’au cadre de l’histoire, par exemple à la question de savoir sous quelle forme le diable apparut ? comment Jésus fut transporté du désert au temple, du temple sur la montagne, et de là de nouveau au désert ? où doit être la montagne assez haute pour permettre à l’homme d’embrasser d’un seul coup d’œil tous les royaumes de la terre ? et autres questions semblables qui peuvent embarrasser l’exégèse littérale, mais qui sont des bagatelles à côté de celles qui se présentent à la méditation du théologien. Celui-ci est autorisé à demander d’abord si Jésus a reconnu le diable ? Quelle que soit la réponse qu’on voudra donner (le texte dit positivement oui), la notion de sa divinité se trouvera singulièrement amoindrie ; car, ou bien lui, Dieu, n’aurait pas connu celui qu’il était venu combattre et vaincre sur la terre, ou bien, tout en le connaissant, il se serait mis ou trouvé en son pouvoir. Or, il nous semble impossible que le diable ait eu prise sur le Fils de Dieu, dans le sens physique, et beaucoup moins possible encore que celui-ci ait consenti à suivre le diable, à entrer en quelque sorte, en le suivant, dans ses vues, à lui donner prise sur lui-même, dans le sens moral. En général l’idée d’une tentation de Dieu dans ce sens est une idée contraire aux notions les plus élémentaires d’une religion digne de ce nom ; et cependant les textes eux-mêmes