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ils atteignaient une telle perfection que déjà ils racontaient des choses de ce genre : « Mon frère aussi n’a jamais joué de violon. » À chaque question ils se répondaient sur ce ton et parfois même, sans question, tâchaient d’unir deux sujets tout à fait disparates, et ils énonçaient tous ces non-sens avec un visage si sérieux que c’était tout à fait drôle. Je commençais à saisir en quoi consistait la chose et je voulais aussi dire quelque drôlerie, mais tous me regardèrent avec crainte et même s’efforcaient de ne pas me regarder quand je parlais, si bien que mon anecdote ne sortit pas. Doubkov me dit : « Tu divagues, mon cher diplomate. » Mais le champagne et la société des grands m’étaient si agréables que cette observation m’effleura à peine ; seul Dmitri, bien qu’il eût bu autant que nous, conservait sa disposition d’esprit sévère et sérieuse, qui refrénait un peu la gaieté générale.

— Eh bien ! Écoutez, messieurs, — dit Doubkov, — après le dîner, nous prendrons entre nos mains le diplomate, nous irons avec lui chez la tante, et là-bas, nous nous arrangerons de lui.

— Nekhludov n’ira pas ! — dit Volodia.

— Tu es un insupportable timide, — repartit Doubkov s’adressant à Nekhludov. — Viens avec nous, tu verras que la tante est une excellente femme.

— Non seulement je n’irai pas, mais je ne l’y laisserai pas aller, — intervint Dmitri en rougissant.