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que j’aimais ardemment : bon, caressant, doux, gai, et qui se savait ces qualités. Quand il était dans cette disposition d’esprit, tout son aspect, le son de sa voix, tous ses mouvements semblaient dire : « Je suis doux et vertueux, je jouis d’être doux et vertueux, et vous tous pouvez le voir. » L’autre — que je commençais seulement à connaître et devant la majesté duquel je m’inclinais — était un homme froid, sévère pour lui et pour les autres, fier, pieux jusqu’au fanatisme, austère jusqu’au pédantisme. En ce moment, il était ce deuxième homme.

Avec la franchise qui était la condition nécessaire de nos relations, quand nous nous installâmes dans la voiture, il me fut triste et pénible de le voir dans cet état d’esprit grave et sévère, ce même jour où j’étais si heureux.

— Quelque chose vous a probablement contrarié, pourquoi ne me le dites vous pas ? — demandai-je.

— Nikolenka, — répondit-il sans se hâter, en penchant nerveusement sa tête de côté et en clignant des yeux, — je vous ai donné la parole de ne vous rien cacher, alors vous n’avez pas raison de me soupçonner de cachotteries : on ne peut pas être toujours également bien disposé, et si quelque chose m’a dérangé, moi-même je ne m’en rends pas compte.

« Quel beau caractère, franc et honnête, » pensai-je ; et je ne lui parlai plus.