Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quoi ? — demandai-je.

— L’affaire, c’est-à-dire que c’est votre affaire de seigneur, — répéta-t-il en bafouillant de sa bouche édentée.

« Non, il ne m’a pas compris, » pensai-je, et je ne lui parlai plus jusqu’à la maison.

Ce n’était plus ce même sentiment d’attendrissement et de dévotion, mais le contentement de soi-même qui régna en moi pendant toute la route, malgré les gens qui, sous le clair soleil, fourmillaient dans toutes les rues. Mais aussitôt arrivé à la maison, ce sentiment s’évanouit. Je n’avais pas les quarante copeks promis au cocher. Le maître d’hôtel Gavrilo auquel je devais déjà, ne me prêtait plus. Le cocher s’apercevant que deux fois j’avais fait le tour de la cour et, devinant que c’était pour trouver de l’argent, descendit de la drojki, et malgré son apparence de bonté il déclara à haute voix, avec l’intention évidente de me froisser : « Il y a des gaillards qui ne paient pas les cochers ! »

À la maison tout le monde dormait encore. Je ne pouvais donc emprunter ces quarante copeks à personne sauf aux domestiques. À la fin, Vassili, sur ma parole d’honneur la plus sacrée, en laquelle (je le vis sur son visage), il n’avait aucune confiance, mais comme ça, par affection pour moi et en souvenir du service que je lui avais rendu consentit à payer le cocher. Mes sentiments se dissipèrent comme une vapeur. Quand je com-