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tourner plus vite ; seule une charrette quelconque roulait sur l’Arbate[1], et deux ouvriers maçons passaient sur le trottoir en courant. Après environ deux mille pas, je commençai à rencontrer des hommes et des femmes se dirigeant vers le marché avec des paniers, et les tonneaux qu’on allait remplir d’eau. Au carrefour, parut un pâtissier, une boulangerie s’ouvrait, et près de la porte d’Arbate j’aperçus enfin un cocher, un petit vieillard qui somnolait dans sa drojki, de teinte bleuâtre et raccommodée. Le cocher, encore endormi sans doute, me demanda, en tout, vingt copeks aller et retour jusqu’au couvent ; mais tout à coup il se ravisa, et dès que je voulus m’asseoir, il fouetta son cheval avec l’extrémité des rênes et se prépara à s’éloigner de moi. « Impossible, monsieur — murmura-t-il — il faut donner à manger au cheval. »

À peine eus-je le temps de l’exhorter à s’arrêter en lui offrant quarante copeks. Il arrêta son cheval, me regarda attentivement et me dit : « Monte, seigneur ». J’avoue franchement que je craignis qu’il ne m’emmenât dans une ruelle déserte pour me voler. En m’accrochant au col de son armiak[2] déchirée, ce qui mit à nu son cou ridé émergeant d’un dos très voûté, je grimpai d’un air piteux sur le siège bleuâtre en forme de vague et qui s’ébranla

  1. Nom de rue.
  2. Armiak : sorte de limousine.