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que par la patience et la résignation au sort, aux privations et aux tourments. Tantôt il voit la nourrice hardie, il se la représente montant dans le village et racontant aux moujiks qu’il faut cacher son argent au seigneur et inconsciemment il se répète : « Oui, il est nécessaire de cacher son argent au seigneur. » Tantôt, tout à coup, se présente à lui la tête blonde de sa future femme qui, il ne sait pourquoi, dans les larmes et la douleur, s’incline sur son épaule. Tantôt il voit les bons yeux bleus de Tchouris qui regarde avec douceur son unique gros garçon. Oui, il voit en lui, outre le fils, un aide et un sauveur. « Voilà ce qu’est l’amour ! » murmure-t-il. Après il se rappelle la mère d’Ukhvanka, il se souvient de l’expression de patience et de pardon absolu qu’il a remarquée sur son visage vieilli, malgré la dent proéminente et les traits vilains. « Probablement que durant les soixante-dix ans de sa vie, moi seul ai remarqué cela, » pense-t-il, et il murmure : « C’est étrange ! » tout en continuant inconsciemment à effleurer les touches et à écouter les sons. Ensuite il se rappelle vivement sa fuite du rucher et l’expression d’Ignate et de Karp qui voulaient évidemment rire et feignaient de ne le pas remarquer. Il rougit et se retourna involontairement vers la vieille bonne restée assise, silencieuse, près de la porte, et qui le regardait en hochant par moments sa tête blanche. Voici que tout à coup se présente à lui la troïka, les chevaux