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était plein de plaisirs, de travaux variés, d’éclat, de succès, et sûrement les menait tous deux, à ce qui leur semblait le meilleur des biens : à la gloire.

« Il monte déjà et très rapidement dans cette voie », pensa Nekhludov à propos de son ami, « Et moi !… »

À ce moment, il était déjà près du perron de sa demeure, où dix paysans et domestiques, avec diverses requêtes, attendaient le maître, et du rêve il fut ramené à la réalité.

Là se tenait une femme en haillons, les cheveux en désordre, ensanglantée, et qui, en sanglotant, se plaignait de son beau-père qui voulait la tuer ; ici se trouvaient deux frères qui depuis deux ans étaient en querelle pour le partage de la succession, et avec une colère désespérée se regardaient l’un l’autre. Il y avait un ancien domestique, à cheveux blancs, non rasé, dont les mains tremblaient d’ivresse, et que son fils, le jardinier, amenait chez le maître, se plaignant de sa conduite déplorable. Puis c’était un moujik qui chassait sa femme de chez lui, parce que de tout le printemps elle n’avait pas travaillé ; cette femme malade se trouvait là. Sans rien dire elle sanglotait et restait assise sur l’herbe près du perron, montrant sa jambe enflée, enveloppée sommairement d’une guenille sale…

Nekhludov écoutait ces requêtes et ces plaintes,