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chaque jour me devient plus pénible. Si je voyais le succès de mon entreprise, si je constatais de la reconnaissance… Mais non, je ne vois que la routine trompeuse, le vice, la méfiance, l’ingratitude… Je dépense en vain les meilleures années de ma vie », pensa-t-il, et il se rappela que les voisins, comme il l’avait entendu dire à sa vieille bonne, l’appelaient imbécile, que dans son bureau, il n’y avait déjà plus d’argent, que les nouvelles machines à battre qu’il avait fait installer, à la risée de tous les paysans, sifflèrent seulement et ne travaillèrent pas, quand, devant une nombreuse assistance on les fit monter pour la première fois dans le hangar à battre ; que de jour en jour il fallait attendre l’arrivée du tribunal pour l’inventaire du domaine qu’il avait engagé et dont il avait laissé passer le terme dans son enthousiasme pour de nouvelles entreprises d’exploitation. Et tout à coup, aussi vivement que tout à l’heure se présentait à lui la promenade dans la forêt et son rêve de la vie seigneuriale. Maintenant il revoit sa petite chambre d’étudiant à Moscou, où tard, la nuit, devant une bougie, il était assis avec son camarade, un ami de seize ans qu’il adorait. Ils ont lu cinq heures de suite et répété les notes ennuyeuses du droit civil, et en finissant ils ont envoyé chercher le souper, la bouteille de champagne et se sont mis à causer de leur avenir. Comme l’avenir se montrait différent au jeune étudiant ! Alors l’avenir