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me consacrer à la vie de la campagne, car je me sens né pour elle. Pour Dieu, chère tante, ne vous moquez pas de moi. Vous direz que je suis jeune, peut-être est-ce vrai, — je ne suis encore qu’un enfant — mais cela ne m’empêche pas de sentir ma vocation, d’aimer le bien et de désirer le faire.

» Comme je vous l’ai déjà écrit, j’ai trouvé les affaires en une confusion indescriptible. Désirant les remettre en ordre, et après les avoir bien étudiées, j’ai découvert que le mal principal tient à la situation plus que miséreuse des paysans, et c’est un mal tel qu’on ne peut y remédier que par le travail et la persévérance. Si seulement vous pouviez voir deux de mes paysans, David et Ivan, et la vie qu’ils mènent eux et leurs familles, je suis persuadé que la vue seule de ces deux malheureux vous convaincrait plus que tout ce que je puis vous dire pour vous expliquer ma décision. N’est-ce pas mon devoir strict, sacré, de me vouer au bonheur de ces sept cents âmes dont j’aurai à rendre compte à Dieu ? N’est-ce pas un péché de les laisser la proie de gérants et d’intendants grossiers, pour mes plaisirs ou mes satisfactions d’amour-propre ? Et pourquoi chercherais-je dans un autre milieu des occasions d’être utile et de faire le bien, quand se présente à moi un devoir si noble, si grand et si proche ! Je me sens capable d’être un bon maître et pour l’être comme je comprends ce mot, il ne faut ni diplôme de l’Université, ni les titres que